L’implication pharmaceutique dans la prévention des séquelles fonctionnelles après résection pancréatique

L’implication pharmaceutique dans la prévention des séquelles fonctionnelles après résection pancréatique

C’est à la suite d’un appel à projet que le docteur Marie-Pierre Tonnelier, pharmacienne à la Pharmacie à Usage Intérieur (PUI) du CH de Troyes, a lancé cette année son projet portant sur les implications pharmaceutiques dans la prévention des séquelles fonctionnelles après résection pancréatique. Un engagement récompensé par l’Agence Régionale de Santé Grand Est du 6e prix au concours « Initiatives en soins pharmaceutiques 2024 ».

« C’est une réussite que je partage avec le professeur Tullio Piardi, référent médical de l’unité hospitalo-universitaire de chirurgie hépato-bilio-pancréatique et métabolique », explique le docteur Marie-Pierre Tonnelier, qui est responsable des dispositifs médicaux stériles à la PUI troyenne et responsable de la validation pharmaceutique des services de chirurgie digestive. « Lorsque l’activité de chirurgie pancréatique s’est créée, j’ai souhaité m’investir dans un projet de pharmacie clinique visant à améliorer la qualité de prise en charge des patients après chirurgie du pancréas. »  Un choix qui n’est pas anodin, lorsque l’on sait que le cancer du pancréas, pathologie non dépistable, est projeté comme 2e cause de mortalité par cancer dans les années à venir… et que l’espérance de vie à 5 ans est de 5 à 10% seulement.

« Dans la littérature, je n’ai pas trouvé de publications impliquant un pharmacien dans ce type de chirurgie ; c’est pourquoi j’ai dû construire un nouveau projet en m’inspirant d’autres pathologies, telles que la mucoviscidose ou d'autres chirurgies telle que la chirurgie bariatrique. J’ai ciblé les étapes du parcours de soin du patient (consultation d’anesthésie, hospitalisation, consultation post-opératoire…) pour proposer des actions de pharmacie clinique visant à prévenir trois types de séquelles après la chirurgie. »

- Les séquelles liées à une insuffisance exocrine. « Après résection, il est montré que l’on perd au minimum 10% de cette fonction par repas », explique la pharmacienne. « Il faut alors supplémenter les patients pour éviter une insuffisance pancréatique exocrine. Sinon, le patient peut être atteint de stéatorrhée (diarrhées graisseuses), de malnutrition, de douleurs et de fatigue pouvant fortement altérer sa qualité de vie et l’empêcher de recevoir une chimiothérapie, qui représente la suite de son parcours de soins dans le cas d’une prise en charge tumorale. » Le pharmacien joue ici un rôle prépondérant dans l’éducation du patient au traitement par enzymes pancréatiques et à l’adaptation de la dose. « Ces enzymes sont là pour permettre la digestion essentiellement des protéines et des lipides. Mais elles doivent absolument être prises à la bonne dose, au bon moment, à la bonne fréquence et en évitant certaines interactions (chaleur, acidité), conditions essentielles à l’efficacité du traitement. Les enzymes permettent également l’absorption des vitamines liposolubles ; un dosage est donc recommandé afin de prévenir toute carence. »

- Les séquelles liées à une insuffisance pancréatique endocrine. Elles peuvent provoquer, à plus ou moins long terme, une insuffisance insulinique pouvant aboutir à un diabète. « La mise en place de règles hygiéno-diététiques sera prodiguée au patient afin de retarder l’instauration d’antidiabétiques. »

- Les séquelles liées au retrait du duodénum. « C’est l’organe qui absorbe la majorité des médicaments, donc, lorsqu’il est retiré, la pharmacocinétique s’en trouve totalement modifiée. » Là encore, le rôle du pharmacien est majeur : il va pouvoir proposer une adaptation pharmacologique du traitement du patient en anticipant ces modifications. « À la consultation d’anesthésie, en sachant que le duodénum peut être enlevé, je cible, parmi les traitements habituels, ceux absorbés préférentiellement par le duodénum. S’il y en a, je propose au médecin des alternatives de la même classe (ex. hypertenseur) qui seront moins absorbés par le duodénum, donc avec un effet thérapeutique maintenu à la suite de la chirurgie. Bien sûr, j’exclus également, de facto, les médicaments toxiques pour le pancréas. »

Le plan pharmaceutique est ainsi ciblé en fonction de la chirurgie réalisée, car les symptômes d’une insuffisance pancréatique exocrine ou endocrine seront plus ou moins marqués selon la localisation de la résection. « Ce travail nécessite une parfaite collaboration avec le Pr Piardi, qui m’indique toujours le type de chirurgie qu’il va pratiquer. »

Des résultats palpables et encourageants…

Si l’évaluation de ce projet n’est aujourd’hui pas encore standardisée, le docteur Tonnelier suit une vingtaine de patients âgés de 47 à près de 90 ans. « Ce qui est passionnant, c’est que j’applique véritablement un plan pharmaceutique personnalisé selon le type de chirurgie, l’indication de la chirurgie (cancer le plus souvent, mais aussi parfois tumeur bénigne), l’âge du patient, son état général… », ajoute-t-elle. Et c’est là le point fort de ce projet : la personnalisation du suivi, avec une implication pharmaceutique tout le long du parcours du patient. « L’échange avec les médecins est riche et concerne diverses spécialités (chirurgie, diabétologie…). Les consultations pharmaceutiques ciblées font l’objet d’un compte-rendu enregistré dans le dossier patient et adressé par apicrypt au Pr Piardi, au médecin traitant du patient et au pharmacien d’officine s’il est connu. Cela prouve également que le réseau ville-hôpital fonctionne réellement. »

Car les retours sont bons, certains patients ayant pu reprendre des chimiothérapies abandonnées auparavant mais à nouveau possibles grâce à l’amélioration palpable et mesurable de leur état général.

… et des perspectives réjouissantes

« Ce prix nous a permis de récolter 94 000 €. Une belle somme qui va nous permettre de créer une unité de consultation commune de chirurgie et de pharmacie. » Une unité qui pourrait s’installer dans l’Hôpital de Jour du CH de Troyes et s’intégrer totalement dans son fonctionnement, représentant une vraie attractivité de l’hôpital dans la prise en charge des patients, avec l’ambition de créer un projet d’éducation thérapeutique pour le patient et ses proches, et pourquoi pas un programme de suivi à distance pour recueillir les retours sur la tolérance des enzymes pancréatiques et détecter précocement les signes d’une insuffisance pancréatique naissante.

La seconde perspective est plus scientifique : c’est le dépôt d’un protocole hospitalier de recherche clinique (PHRC) auprès de la Direction générale de l’offre de soins de la Région Grand Est. « L’objectif est de mesurer l’impact de cette implication pharmaceutique au moyen d’une étude comparative randomisée avec un bras interventionnel pharmaceutique versus un autre bras sans intervention du pharmacien. » Pour cela, deux centres ont été approchés à Strasbourg et Reims, en plus du CH de Troyes.

Objectif principal : mesurer le taux d’adhésion au traitement substitutif enzymatique. Objectif secondaire : mesurer objectivement les symptômes d’une insuffisance pancréatique exocrine en mesurant la perte de poids, la diarrhée et la malnutrition à 1 et 3 mois après la chirurgie. Avec l’ambition de publier un article et de déployer, à la suite, un protocole dans d’autres établissements de santé.

« C’est vraiment un projet où le pharmacien s’exprime pleinement, car sa connaissance du médicament lui permet d’assurer une adaptation pharmacologique ciblée en fonction du contexte clinique », conclut le docteur Tonnelier.

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